Dans les bois de mon enfance
On découvre ce ravissant ruisseau en empruntant un chemin qui se perd dans les bois. Il coule entre les joncs et les pierres grises, dans une trouée, et ses eaux chatoient dans la lumière vive, presque aveuglante, de cette matinée de printemps.
De l’autre côté, dans des nappes d’eau stagnante, on découvre quelques amas gélatineux. Des œufs de têtards. Avec un peu d’imagination, on pourrait les comparer à des yeux, dont la pupille serait un petit être en devenir.
Le livre bleu
Inspiré par une des nombreuses expériences que proposait un grand livre bleu, enfant, j’avais récupéré plusieurs dizaines de ces œufs et les avais déposés dans un grand plat. A l’intérieur, de l’eau bien sûr, mais aussi du sable, de l’herbe et de petits bouts de bois. J’avais vu mes têtards s’arracher à leur enveloppe et agiter leur queue mobile, au bout de leur tête renflée. Peu à peu, ils avaient pris une couleur plus indécise, une teinte limoneuse, et de petites pattes s’étaient mises à croître sur leurs flancs.
Les bêtes devaient manquer d’air. Un après-midi, je les trouvai toutes immobiles, au fond du plat, et je fus triste comme on peut l’être à cette âge-là, de la mort d’un animal.
Stratégies évolutives
Je reviens aux œufs qui s’amassent sous mes yeux.
Parmi tous les têtards qui s’agiteront bientôt dans cette flaque, combien achèveront leur métamorphose, sortiront de l’eau – d’où toute espèce tire son origine – pour coasser à travers les joncs? Combien de grenouilles pourront à leur tour se reproduire et répandre leurs œufs, l’année prochaine?
Dame Nature a doté les espèces de deux moyens de perpétuation. Le premier consiste à lâcher autant de rejetons que possible, sans s’occuper de leur sort. Seuls les plus forts et les plus chanceux survivent. Pour ce qui est du second, plus rare, la mère, ou les parents, le troupeau, le groupe protège et soigne ses petits afin de les armer face aux aléas de la vie.
Cette sollicitude, on la retrouve chez les hommes et chez les insectes eusociaux, comme les fourmis et les abeilles. C’est la pointe de la pyramide évolutive.